Actualités du barreau

Inauguration du Square Bâtonnier Ugo IANNUCCI

Mardi 17 juin était décidément un jour bien particulier pour le Barreau de Lyon, avec simultanément l’élection du futur Bâtonnier pour la période 2026 /2027 et l’inauguration du square Ugo IANNUCCI.

Retrouvez l’intégralité du discours de M. le Bâtonnier Alban POUSSET-BOUGERE :

« Ce 17 juin, n’est décidément pas une journée comme les autres pour notre barreau.

Elle incarne à la fois :

  • la continuité, avec l’inauguration de ce square qui portera désormais le nom du Bâtonnier Ugo Iannucci,
  • et le renouvèlement, puisque c’est aujourd’hui même, à l’heure où nous nous parlons, que l’élection du futur bâtonnier pour la période 2026-2027 s’achève.

Quel plus beau symbole que de rendre hommage, en ce jour si particulier, à celui qui incarna avec tant de force, d’humilité et de constance cette fonction ?

Mais cette journée me rappelle aussi celle du 4 juillet 2024. Lors de laquelle, avec Monsieur le maire de Lyon, Grégory Doucet, nous avons inauguré un autre lieu, celui de l’ancienne maison des avocats rue Saint Jean, pour honorer un autre Bâtonnier de Lyon : le Bâtonnier Paul Bouchet.

Paul Bouchet – Ugo Iannucci.

Deux hommes perclus d’humanisme, d’engagement personnel, qui ont fait honneur à notre Barreau.

Ce square, ici, dans le 7e arrondissement devient désormais dépositaire du nom d’Ugo Iannucci.

Ugo Iannucci a porté la fonction de bâtonnier comme il a toujours porté la robe d’avocat :

  • au service des autres,
  • engagé dans la défense des causes justes,
  • en infatigable militant de la dignité humaine.

Mais, s’il est un lieu qui raconte à lui seul son histoire ; c’est le quartier de Gerland.

Ce quartier populaire que l’on appelait autrefois le « quartier rital », celui des ouvriers et des exilés. C’est là qu’Ugo Iannucci est né, en 1933, dans une de ces « baraques », des logements de fortune abritant des familles venues d’Italie pour fuir le fascisme.

Il mènera sa vie, selon la maxime de Lucie Aubrac, qu’il aimait à citer « Le mot résister doit toujours se conjuguer au présent ».

Ce square ne vient pas seulement graver un nom dans la pierre, ni simplement rappeler un lieu de naissance.

Il porte son œuvre professionnelle, et son engagement moral qui ont profondément marqué notre barreau, notre ville, et notre mémoire collective.

Devenu avocat en 1961, il prononça le discours de la Conférence du Stage en 1964 relatant « La première insurrection des canuts ».

Ceux qui l’ont connu verront, dans le choix de ce sujet, le reflet de sa passion pour l’histoire, le goût des récits et le souci de toujours rendre hommage et de transmettre.

Il exerça en droit social et plaida devant le Conseil des Prud’hommes exclusivement pour les salariés.

Avec Roland Sgorbini, il créa en 1967, la première permanence juridique en entreprise, à l’usine Berliet de Vénissieux. Si l’idée même de cette consultation sur le lieu de travail était novatrice, sachez qu’elle était doublée d’une deuxième innovation : son mode de financement. Les avocats étaient rémunérés par le Comité d’Entreprise Berliet ; une sorte de système de tiers payant avant l’heure !

C’était une première en France et Ugo Iannucci en était.

Ceux qui l’ont connu verront en filigrane de chacune de ses actions son engagement indéfectible en faveur des plus vulnérables.

Un engagement profondément ancré en lui, fidèle en cela à l’âme militante qui l’animait :

Au sein du Syndicat des Avocats de France ou encore en 1972, lorsqu’il fut président de la section Union des Jeunes Avocats de Lyon et qu’il dénonça la condition pénitentiaire.

Il exigera en toutes circonstances le respect scrupuleux de la dignité des personnes.

Ce militantisme affirmé qui s’exprimait à nouveau en 1975, aux côtés du Bâtonnier Paul Bouchet (encore !).
De retour d’une mission d’observation en Espagne, Ugo Iannucci rapportait une expérience marquante : à Barcelone, le barreau, propriétaire d’un immeuble en plein centre-ville, avait su organiser en toute indépendance la défense collective de personnes poursuivies pour des raisons politiques. Les avocats espagnols, encore soumis au régime franquiste, affirmaient avec fierté : « Même la Guardia Civil ne pénètre pas dans la Maison des avocats. »

Il militera donc, de retour à Lyon pour la création d’une « Maison du Barreau », la première en France, inaugurée en juin 1975.

Il exerça avec bienveillance, fidélité et exigence d’abord avec nos confrères Michel Lenoir et Pierre Masanovic, ses associés et amis.

Il présida la commission des Droits de l’Homme du barreau de Lyon jusqu’en 1999 et créa la commission Histoire du barreau, dont les premiers travaux permettront l’édition de deux volumes écrits par l’historienne Catherine Fillion sur le barreau lyonnais de la IIIe République à la Libération.

Ceux qui ont travaillé à ses côtés témoigneront de son attachement profond au travail collectif, allant jusqu’à assumer, (enfin !) en 1990, la fonction de Bâtonnier — sans doute la plus collective des responsabilités, mise au service de ses confrères.

Ugo Iannucci Bâtonnier a porté haut la fonction.
Comme un service. Une mission. Une exigence morale.

Il a notamment été le fondateur des consultations pour enfants « Mercredi j’en parle à mon avocat », qui permettent, – aujourd’hui encore – à des mineurs de rencontrer des avocats pour trouver écoute et défense.

Ugo Iannucci fut aussi une figure majeure de la mémoire juridique.

Il sera le premier, en France, en 1973, aux côtés de Joë Nordmann, à déposer une plainte pour crime contre l’humanité dans l’affaire Touvier.

Ugo Iannucci plaidera également lors du procès de Klaus Barbie au nom des parties civiles, le 22 juin 1987 à la Cour d’Assises du Rhône.

Il conclura sa plaidoirie en ces termes : – je cite – « Justice sera dite, et c’est l’essentiel non seulement pour la mémoire mais pour l’avenir. Dans les prisons de l’Etat de Droit, Klaus Barbie ne risquera ni le froid, ni la faim, ni les appels prolongés, ni les tortures, ni les expériences médicales. Il sera simplement privé du bien le plus précieux, dont les nazis ont voulu priver des peuples entiers : la Liberté (…) Ainsi, par votre verdict, Klaus Barbie aura contribué, bien malgré lui, à servir la cause des Hommes. »

Ugo Iannucci était convaincu que le droit est un rempart au-delà de l’oubli.

L’inauguration de ce square en est la preuve : les combats menés par les grands avocats ne s’effacent pas avec le temps.

Il ne perdit jamais de vue l’essentiel : l’éthique, la culture, la générosité.

Il déclarait :

« L’avocat n’est pas seulement un manipulateur de textes. Il doit demeurer un homme de son temps. Dans les cas exceptionnels, il doit être l’homme de la rébellion. »

Cher Bâtonnier, Cher Ugo, vous avez été tout cela à la fois, en un seul homme.

J’aime à rappeler que s’il fut un jour surnommé affectueusement par les confrères « le Bâtonnier le plus pauvre de l’histoire », il n’avait jamais manqué de l’essentiel : ni de convictions, ni de camaraderie, ni d’engagements.

Et même après sa vie professionnelle, lorsqu’il accepta en 2002, deux années après sa retraite, la présidence de la Chaire lyonnaise des droits de l’Homme et qu’il organisa des voyages pour des élèves à Auschwitz et à Cracovie en partenariat avec la maison d’Izieu et le Centre d’histoire de la résistance et de la déportation.

Beaucoup se souviennent de ses yeux rieurs, de son éternelle écharpe rouge toujours nouée avec désinvolture, de sa main posée sur nos épaules en signe de soutien, de son appétence à transmettre — par ses écrits, dans ses discours, ou tout simplement dans les échanges du quotidien.

Je tiens, ce soir, à vous remercier de votre présence ;

  • Vous les membres du conseil de quartier et édiles, à l’origine de cet événement,
  • vous les citoyens qui avez parfois bénéficié de son action sans toujours en connaître l’origine,
  • vous les Bâtonniers et les confrères qui participez à cet hommage par votre présence,
  • Vous qui, tous, permettez que le nom du bâtonnier Ugo Iannucci soit inscrit dans la mémoire de ce lieu.

Je formule le souhait que les générations futures, en passant ici, dans ce square, s’interrogent sur ce nom.
Qu’elles découvrent la richesse de son parcours.

Que les rires des enfants qui joueront dans ce square portent le souvenir de ce que peut devenir un enfant d’immigré de Gerland, quand il croit aux mots, au droit, à la justice.

C’est une forme de boucle que nous refermons aujourd’hui.

Nous accomplissons ainsi notre devoir de mémoire,
L’hommage le plus juste qui soit :

  • à son action,
  • à son engagement,
  • à sa famille,
  • et à ce patrimoine vivant qu’il nous laisse.

Dans un monde qui parfois vacille, le souvenir est plus que jamais un repère essentiel.

Il nous éclaire, nous guide et nous rassemble. »